Friday, June 13, 2025

|MEDEL|

Speeches from MEDEL’s 40th Anniversary Conference – 3 June 2025, Strasbourg

Speech by Simone GABORIAU

Propos d’ouverture

Simone GABORIAU CO-FONDATRICE DE MEDEL,
ancienne présidente du Syndicat de la Magistrature

“Nous voulions faire galoper l’histoire

Ce n’est pas sans émotion forte que, ce matin, en présence de vous toutes et tous les plus hautes personnalités de l’Europe qui nous honorez de votre présence, j’évoque une histoire sans pareil celle, en juin 1985, de la création de MEDEL, Magistrats Européens pour la Démocratie et les libertés ; je présidais alors le Syndicat de la Magistrature (SM) l’une des organisations fondatrices.

Une salle de ce palais du Conseil de l’Europe, avait été mise à notre disposition avec une équipe de traducteurs. Nous vous sommes reconnaissants d’un tel accompagnement efficace !

Dans la suite de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, le conseil de l’Europe fondé un an plus tard, avait initié la signature de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, premier traité européen imposant à chaque Etat partie, des obligations à l’égard de la personne humaine, avec grâce à la création de la Cour Européenne des droits de l’homme la possibilité de faire condamner un Etat défaillant. René Cassin inspirateur de ces déclarations en fut le deuxième président.

Rappelons qu’après la barbarie nazie à laquelle le régime fasciste italien s’était associé, l’état de droit démocratique était né comme une promesse de l’aube après la seconde guerre mondiale. Ainsi se construisait et s’internationalisait une nouvelle culture juridico-judiciaire. S’organiser autour du respect des droits fondamentaux garanti par une justice indépendante était devenu un impératif catégorique.

Nous étions une petite vingtaine de magistrats européens engagés en ce sens, pionniers du syndicalisme et de l’associationisme judiciaires et voulant briser le conformisme judiciaire hélas dominant.

En ce mois de juin 1985, dans le contexte d’une guerre froide apparemment sans fin, nous représentions 6 pays de l’Europe occidentale Allemagne (RFA) Belgique, Espagne, France, Italie, Portugal.

Comment étions-nous parvenus à une telle mobilisation ?

L’occident, il faut le rappeler, n’était pas exempt de dictatures, en Amérique Latine et en Europe : Grèce, Espagne et Portugal. Dans un tel contexte, des magistrats progressistes attachés au respect des droits fondamentaux tissèrent des liens discrets avec des magistrats opposant à ces régimes.

C’est ainsi que dans les années 1970, sous l’impulsion des premières associations progressistes fondées en 1964 Magistratura Democratica et 1968 Syndicat de la Magistrature, s’était créé un mouvement européen informel de magistrats, grâce à des contacts noués avec des juristes et des juges internationalistes, comme Louis Joinet, fondateur du SM, ainsi que des survivants de la résistance aux dictatures.

L’installation progressive de régimes démocratiques dans toute l’Europe occidentale fit naitre des réflexions communes sur l’enjeu démocratique du pouvoir judiciaire et sa place dans nos différents pays.

Cela conduisit à l’organisation à Lille en février 1983, d’un colloque sur le thème Magistrature et Démocratie. Suivie d’un ouvrage, Être juge demain, cette première rencontre internationale fut un moment initiatique de la parole critique de magistrats sur un tel thème.

Quelques mois plus tard, en octobre 1983, à Bordeaux, une réunion aboutit à une déclaration commune. Ce fut le premier texte, signé par des organisations de magistrats, définissant, au sein de l’Europe, les exigences d’une justice démocratique, fondée sur la séparation des pouvoirs, la garantie des droits humains ainsi que l’attachement à un fonctionnement judiciaire équitable assurant la protection des plus faibles.

En dix-huit mois de maturation, un projet de statuts fut conçu, portant création d’une “association d’organisations de magistrats” qui avait déjà la dénomination “Magistrats européens pour la Démocratie et les Libertés”. On le discuta à Bruxelles le 1er mars 1985, à l’occasion du congrès de l’Association syndicale des magistrats.

Et final solennel : les 15 et 16 juin 1985, les statuts sont adoptés à Strasbourg.

Je tiens à rendre hommage à nos compagnons de route participants actifs de ce processus créateur, qui nous ont quitté : nos camarades belge, allemand et italien : Christian Wettinck, premier président oh combien ardent et lumineux de MEDEL, Heinz Stözel président un peu plus tard alors qu’était entamée la transition démocratique de l’Europe, Salvatore Senese un de nos « pères fondateurs » de nos réflexions et constructeur de notre volonté d’agir.

Les statuts, trop long à lire, traduisaient la volonté de la défense de l’indépendance du pouvoir judiciaire, la promotion de l’Etat de droit démocratique et la construction d’un espace judiciaire européen fondé sur la garantie des libertés et droit fondamentaux, en matière politique comme économique et sociale.

Dans le contexte actuel de certaines critiques infondées de la Cour Européenne, critiques révélatrices de la montée en puissance d’une rhétorique hostile à l’état de droit, je citerai uniquement l’un des objectifs de cette nouvelle association : « La proclamation et la défense des droits des minorités et des différences, notamment des droits des immigrés et des plus démunis, dans une perspective d’émancipation sociale des plus faibles. »

Impossible de répondre mieux à ces critiques que le président de la Cour, Mattias Guyomar “En contribuant à la protection de l’État de droit, les juges font vivre la démocratie. Cela signifie que la volonté de la majorité ne doit pas aboutir à nier les droits de la minorité ou des minorités” .

De telles déclarations convergent avec les objectifs qui nous animaient en ces journées mémorables.

Il en est de même de celles de Jean Paul Costa, qui écrivait, en 2018 dans un livre consacré à la situation turque

« C’est précisément parce que rien n’est jamais acquis que les droits et libertés sont partout et toujours à reconquérir que le devoir de vigilance est pressant et nous oblige »

Dans ce palais du Conseil de l’Europe j’ai, aussi, au nom de MEDEL représenté Murat Arslan lauréat le 9 octobre 2017 du prix Vaclav Havel des droits de l’homme. Fait sans doute sans précédent : un juge, un juge turc, recevait ce prix pour sa lutte infiniment courageuse et sans concession en faveur de l’indépendance de la justice.

J’ai avec une émotion qui m’habite encore, lu devant les parlementaires de 47 pays présents dans

l’hémicycle du Conseil de l’Europe le texte de remerciement qu’il avait réussi à nous faire parvenir : Quelques extraits repris le lendemain par le Monde

« Je m’adresse à vous depuis une prison dans un pays où le droit est mis entre parenthèses, où les valeurs de la démocratie s’éloignent progressivement, où les voix dissidentes sont étouffées, où les défenseurs du droit, les journalistes, ceux qui souhaitent la paix, ceux qui crient pour que les enfants ne meurent pas, sont décrétés “terroristes” (…) Ce prix que nous payons sert à renforcer notre croyance et notre envie de nous battre en faveur des valeurs du droit et de la démocratie. »

Arrêté le 19 octobre 2016, Murat Arslan a subi le poids de 3149 jours de détention après avoir été condamné de façon inique à 10 ans d’emprisonnement pour « terrorisme » ; « terrorisme » alors qui défendait l’indépendance de la justice !

Il continue courageusement à poursuivre, de sa prison de SINCAN, son combat pour l’indépendance de la justice.

Et 40 ans après sa création, MEDEL s’émeut avec force face à tant de courage !

Sans avoir imaginé qu’un jour nous aurions à soutenir un collègue, un camarade confronté à de telles injustice et persécution, nous voyons dans ce combat la force de nos volontés de l’époque.

Alors seule existait l’UIM, créée en 1953, sa composante européenne étant instituée plus tard.

Les caractéristiques de MEDEL étaient de rassembler des magistratures engagées conscientes, entre autres, de la nécessité d’une ouverture de la justice sur la société et voulant rompre avec le conservatisme et le conformisme judiciaires. Nous voulions à cette fin rendre public le regard d’acteurs judiciaires de terrain, à l’esprit critique aiguisé par leur engagement, regard susceptible d’aiguillonner les analyses des institutions européennes sur le fonctionnement des Etats et de leurs systèmes judiciaires.

MEDEL a impulsé une société civile des juges et procureurs.

Nous voulions faire galoper l’histoire de l’Europe des juges et des procureurs, l’histoire de leur conscience active.

40 ans après, à vous toutes et tous d’apprécier !

Strasbourg le 3 juin 2025

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