La crise provoquée par l’arrêt des subventions américaines ne se limite pas à des conséquences humanitaires dramatiques, elle affaiblit la société civile et les contre-pouvoirs démocratiques. L’alerte de Medel et d’un collectif de juristes dans une tribune au «Monde».
Le récent gel de l’aide étrangère américaine plonge la société civile européenne dans une crise majeure. Déjà fragilisées par la baisse des budgets nationaux, de nombreuses organisations qui défendent les droits fondamentaux et l’Etat de droit voient aujourd’hui leur survie menacée. Si l’Union européenne n’agit pas rapidement, c’est l’équilibre même de nos démocraties qui est en jeu.
Nous appelons la Commission européenne et les gouvernements des Etats membres à réagir sans attendre. Il y va de l’avenir de nos libertés et de l’Etat de droit.
Il appartient désormais à l’Europe de prendre la mesure du défi du gel de l’aide américaine et d’y opposer une riposte à la hauteur du péril démocratique
La crise provoquée par l’arrêt des subventions américaines ne se limite pas à des conséquences humanitaires dramatiques, elle affaiblit la société civile et les contre- pouvoirs démocratiques, alerte un collectif de juristes, dans une tribune au « Monde ».
Le récent gel de l’aide étrangère américaine plonge la société civile européenne dans une crise majeure. Déjà fragilisées par la baisse des budgets nationaux, de nombreuses organisations qui défendent les droits fondamentaux et l’Etat de droit voient aujourd’hui leur survie menacée. Si l’Union européenne n’agit pas rapidement, c’est l’équilibre même de nos démocraties qui est en jeu.
L’administration américaine a suspendu, le 20 janvier, l’ensemble de son aide internationale pour une période de quatre-vingt-dix jours. Cette décision brutale, contredite à la marge par une décision judiciaire concernant des déboursements relatifs à des actions déjà réalisées, met en péril nombre d’organisations qui dépendent de ces financements pour mener à bien leurs missions. Le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a ainsi rapporté, dans un appel lancé le 20 février aux Etats membres de l’organisation, que 80 % des acteurs de la société civile travaillant en Europe orientale et dans les Balkans occidentaux « [avaient] été directement affectés par le gel de l’Usaid [l’Agence américaine pour le développement international] et [que] certains [avaient] perdu la quasi-totalité de leur financement ».
La mesure de l’administration américaine survient alors que de nombreux Etats membres réduisent leurs budgets consacrés aux initiatives de solidarité et de justice sociale. La conjonction de ces coupes budgétaires et du gel des financements américains crée un effet domino qui menace la stabilité de l’ensemble du secteur associatif. Du fait de l’imbrication des dispositifs de financements, des programmes essentiels pour la cohésion sociale et la défense des valeurs démocratiques sont ainsi déjà à l’arrêt.
Malgré ses conséquences déjà visibles, la crise ainsi provoquée dans le financement de la société civile reste largement absente du débat public. Les réactions se concentrent sur les conséquences humanitaires du gel de l’aide américaine, qui sont évidemment absolument dramatiques, mais ne doivent pas nous faire perde de vue une autre réalité, tout aussi cruciale : l’affaiblissement des contre-pouvoirs démocratiques. Or, la démocratie ne se limite pas aux seuls processus électoraux. Les textes européens le rappellent à l’envi : la société civile est l’un des piliers fondamentaux d’une démocratie fonctionnelle.
Dynamique funeste à l’échelle mondiale
Notre vie publique et sociale trouve sa trame dans un ensemble d’initiatives associatives qui permettent aux citoyens de s’impliquer directement dans la vie locale, d’animer le débat public et de se mobiliser collectivement. Ces actions ne sont pas accessoires : elles sont une source essentielle de légitimité politique. La sauvegarde de l’Etat de droit repose également sur l’existence d’organisations indépendantes capables d’alerter sur les dysfonctionnements de la puissance publique et de saisir la justice pour garantir le respect des droits fondamentaux. Sans société civile active, la démocratie devient une coquille vide, exposée à l’inéluctable érosion de ses libertés. Ni l’existence formelle de garanties institutionnelles ni l’appartenance au cadre européen ne suffisent à enrayer pareil processus.
D’autant que l’affaiblissement, sur le continent, de ce poumon démocratique qu’est le tissu d’organisations citoyennes agirait comme le catalyseur d’une dynamique funeste à l’échelle mondiale. Partout, les forces autoritaires gagnent du terrain. Elles s’attaquent à la société civile, cherchant à la réduire au silence et à redéfinir le cadre des relations internationales en rupture avec les principes des droits humains. Si l’Europe laisse se déliter ce maillage essentiel d’acteurs engagés, elle risque de précipiter une mise en retrait de ses idéaux de liberté, de pluralisme et de justice dans le nouvel ordre global qui se dessine.
Il appartient désormais à l’Europe de prendre la mesure du défi et d’y opposer une riposte à la hauteur du péril démocratique. Elle doit adapter en urgence ses mécanismes de financement pour permettre aux organisations touchées de poursuivre leur mission. Cela passe par plusieurs mesures concrètes : assouplir les exigences de cofinancement, accorder plus de flexibilité dans la gestion des projets européens et mettre en place un fonds d’urgence pour assurer la continuité des actions menées par la société civile.
Le danger est immédiat et impératif. Si rien n’est fait, la vague de fermetures d’organisations que nous redoutons deviendra une réalité, avec des conséquences funestes pour notre démocratie. Nous appelons donc la Commission européenne et les gouvernements des Etats membres à réagir sans attendre. Il y va de l’avenir de nos libertés et de l’Etat de droit.
Signataires
Mariarosaria Guglielmi, présidente de Magistrats européens pour la démocratie et les libertés ; Jeremy McBride, président du Conseil d’experts sur le droit des ONG, Conseil de l’Europe ; Maciej Nowicki, président de la Fondation d’Helsinki pour les droits humains ; Oleg Orlov, coprésident du Centre de défense des droits humains Memorial, Prix Nobel de la paix 2022 ; Pavel Sapelko, juriste du Centre des droits humains Viasna, Prix Nobel de la paix 2022 ; Hugues de Suremain, directeur juridique du Réseau européen de contentieux pénitentiaire/European Prison Litigation Network.
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